La gestion du changement dans un projet de type ERP
Les projets de déploiement de progiciels de gestion intégrés (communément appelés ERP) sont d’excellentes occasions d’apprécier les bienfaits de la gestion du changement.
Non seulement les changements attendus viendront modifier la vie des employés, la prise de décisions et la gestion des opérations, ils auront même un impact sur le développement même des affaires et de l’entreprise. Ce n’est pas rien !
Au cours des dernières années, combien de fois avez-vous été témoin de projets ayant été ralentis ou annulés faute d’avoir examiné adéquatement les préoccupations des personnes touchées ou intéressées par le projet ?
Une bonne gestion du changement vise, au minimum, à gérer proactivement les préoccupations, les résistances, les impacts, les risques, les changements d’habitudes, les pertes de pouvoir, la gestion du sentiment de diminution des compétences, et la gestion de l’inconnu et des craintes des parties prenantes.
Contrairement aux logiciels et au matériel informatique, ces éléments touchent les personnes directement et sont non programmables, non modifiables et non déployables. Voilà en quoi consiste la gestion de changement1.
Les personnes
« Nous ne voyons jamais les choses telles qu’elles sont, nous les voyons telles que nous sommes. »
- Anaïs Nin
Avant tout, il faut reconnaître que ce sont des personnes qui vivront les changements et que ce sont elles qui feront la différence entre la réussite ou l’échec du projet de déploiement de la nouvelle plateforme d’entreprise.
Chaque personne réagira différemment aux turbulences à venir, aux nouvelles méthodes de travail, aux améliorations anticipées, aux gains d’affaires et financiers attendus par la haute direction et les actionnaires.
Formellement reconnaître qu’un amalgame de personnes existe dans l’écosystème de l’organisation avec leurs propres besoins, attentes et préoccupations est déjà un premier pas. Cette reconnaissance devrait justifier l’investissement pour le soutien et l’orientation en gestion du changement.
Les décideurs de l’organisation connaissent les raisons justifiant le projet. Est-ce vraiment le cas pour les gestionnaires et les employés? Est-ce que ces personnes pourront y adhérer et y trouver un sens2 qui permettra d’agir positivement vers le changement?
Je tenterai de répondre à cette question en regardant à travers la lunette des rôles et des responsabilités pour les trois niveaux hiérarchiques de l’organisation, et à travers celle du « consultant externe en gestion du changement ».
Le projet est décidé et il va de l'avant
« Celui qui a l’œil fixé sur l’étoile ne se retourne pas. »
- Léonard de Vinci
Les devoirs des membres de la haute direction de l’organisation
Primo : communiquer clairement que la décision est prise, que le train est sur les rails et que l’organisation est consciente que le changement crée des impacts, voire une certaine « douleur », et que malgré tout, le train avance. On fait ici référence au courage managérial.
Cela dit, uniquement reconnaître que les changements sont compris n’est pas suffisant. Il faudra laisser place aux efforts d’acceptation des changements avant de vivre les pleins avantages commerciaux ou opérationnels attendus par l’organisation.
Secundo : adopter une posture de bienveillance (présence et écoute, sans jugement), avoir le courage nécessaire pour garder le cap vers l’état désiré et communiquer les étapes du projet clairement selon l’échéancier du plan de travail auprès des parties prenantes.
Tertio : créer un comité exécutif qui mène le projet technologique en privilégiant les éléments humains par rapport aux changements technologiques.
Quarto : mettre en valeur la puissance et la force de la « voix des gestionnaires ». Les gestionnaires font montre de stratégie et de tactique, et concourent à la réussite du projet parce qu’ils sont en quelque sorte la courroie de transport et de communication entre les membres de la haute direction et les employés. Ils jouent un rôle prépondérant dans le processus d’acceptation et la quête du sens.
Quinto : s’assurer de créer un plan de déploiement intégrant pleinement les moyens et les infrastructures de gestion du changement pour être pleinement branché sur la « voix des employés » (les employés sont les personnes les plus vulnérables de l’organisation et, dans un tel contexte, exercent une réelle influence sur la finalité du projet).
Les gestionnaires sont des leaders d'équipe
« Rappelez-vous, le sort de tous dépend de la conduite de chacun. »
- Alexandre le Grand
Les devoirs des gestionnaires de l’organisation
Primo : les gestionnaires devront être porteurs de la vision et vivre le processus de façon existentialiste pour concrétiser le sens. Ce sera un travail à la fois personnel et collaboratif. Le soutien expert en gestion du changement sera fort utile, c’est certain. Souvent, les formations seront d’un grand secours et les séances de coaching individuel ou collectif accéléreront la prise de conscience des occasions de développement et d’élimination des bloqueurs.
Secundo : les gestionnaires pourront ensuite devenir ambassadeurs de la haute direction et les représentants des employés auprès de la haute direction. Ils doivent se montrer rassurants en tenant un rôle tampon et être présents au quotidien, autant sur le terrain, où la douleur se vivra, que dans les réunions avec la haute direction. Des habiletés managériales comme l’empathie et une présence réelle et entière lors des entretiens avec les employés donneront un soutien et un encadrement très appréciés des employés et des membres de la haute direction.
La vulnérabilité et la responsabilité des employés
« Je ne suis pas responsable de ce qu’on m’a fait, mais je suis responsable de ce que j’en fais. »
- Boris Cyrulnik
Les devoirs des employés
Primo : les employés devront se sentir à l’aise d’exprimer leurs craintes, leurs résistances, et prendre conscience de notions existentialistes pour atteindre leur pleine puissance. Ainsi, leur potentiel grandira et les gains seront nettement supérieurs aux habituels résultats observés pour ce genre de projet, souvent trop faibles en gestion du changement.
Malgré leurs possibles doutes sur la pertinence du projet, les employés comprendront rapidement que le quotidien ne sera pas le même. Ne l’oubliez pas, les employés représentent les personnes les plus vulnérables au changement, mais qui auront une très grande influence sur la qualité du projet dans sa forme finale.
La gestion de cette vulnérabilité exprimée doit être prise en charge par les employés et faire l’objet d’ un travail conjoint d’encadrement et d’orientation de la part de la haute direction, des gestionnaires et des consultants externes. Effectivement, les consultants externes doivent apporter les nuances et l’objectivité nécessaires qui permettront aux parties prenantes d’oser3.
C’est ainsi que les employés développeront la confiance requise pour se rendre vulnérable et pleinement prendre leurs responsabilités dans le cadre du changement, voire être pleinement leaders d’eux-mêmes.
Secundo : les employés devront jouer le jeu; jour après jour, avancer, trébucher, se relever, se soigner, mais toujours rester sur le chemin du changement. J’aime faire l’analogie du chemin du changement avec ce qui se vit sur le chemin de Compostelle.
Effectivement, c’est en ayant une posture d’ouverture à l’égard de la découverte et de l’incertitude que les employés seront plus à l’aise avec le changement. D’un point de vue neuronal, cela revient à vivre le passage d’un état de stress à un état de plaisir.
Votre consultant externe4
« On ne peut rien apprendre aux gens. On peut seulement les aider à découvrir qu’ils possèdent déjà en eux tout ce qui est à apprendre. »
- Galilée
Les devoirs du consultant
Primo : le consultant devra savoir adapter son approche à la réalité du client. Ses moyens et ses méthodes devront varier entre une participation légère de type « observateur » et un travail fortement engagé produisant tous les livrables liés à la gestion du changement. Se situant entre ces deux positions, le consultant pourra mettre en valeur une panoplie de services-conseils, y compris la facilitation, la formation, les communications, le soutien en mentorat, et même du coaching professionnel individuel ou collectif auprès des cadres, des gestionnaires et de certains employés.
Secundo : le consultant devra aussi bien comprendre les capacités internes de l’organisation et la démarche du changement, et faire la différence entre les réels moyens et engagements déployés pour le projet, et les bonnes intentions, voire les rêves du client qui souvent ne sont que de belles paroles.
Mesurer le niveau de lucidité de la haute direction sur les enjeux à venir qui auront un impact sur une grande partie de l’entreprise, sinon l’entreprise en entier, est d’importance capitale. Finalement, bien comprendre les intervenants, les influenceurs positifs et négatifs et le climat interne des dynamiques formelles et informelles des gestionnaires vivant dans leur silo fonctionnel respectif donnera des munitions au consultant pour mettre en œuvre un plan de match robuste et cohérent avec le déploiement du projet ERP.
Tercio : le consultant doit être en mesure d’adapter et de mettre en valeur ses compétences afin que le client puisse garder le cap et être rassuré jusqu’à l’atteinte du « point de bascule de la contagion »5 des parties prenantes. Le point de bascule de la contagion fait référence aux phénomènes pandémiques qui montrent que jusqu’au point critique (ou point de bascule), le changement devient totalement opérant sans pour autant montrer un taux de 100 % de personnes « contagieuses » ou à l’inverse, de personnes « vaccinées ».
Le graphique ci-dessous illustre les paramètres de l’évolution de l’acceptation du changement dans le cadre d’un projet donné, et montre comment, avec le minimum nécessaire de personnes qui prennent part au projet, l’effet de contagion positive crée un effet de bascule facilitant ensuite le processus d’acceptation global des changements envisagés.
En conclusion
L’évolution technologique est plus rapide que l’évolution humaine. Pour que la pleine valeur des technologies serve adéquatement les organisations, il faut reconnaître que les humains doivent s’y adapter et qu’il est plus facile de s’adapter lorsque les résistances des parties prenantes sont comprises pour créer le sens face aux nouvelles technologies et à leurs nouveaux modes opérationnels.
Trois concepts doivent absolument s’intégrer dans la démarche :
- La décision de changer de mode opérationnel et de technologie est prise et le changement se fera. La haute direction s’exprime clairement et garde le cap.
- Les employés doivent comprendre, certes, mais surtout accepter de vivre ou non les changements. Il faut faire le travail de gestion du changement pour que le sens se fasse afin de garder les personnes qui ont cette connaissance des affaires de l’organisation. La technologie est un moyen et non une fin.
- Un changement technologique sera réussi quand les personnes vivront le nouveau mode opérationnel avec la nouvelle technologie. Ce n’est pas la technologie qui vit, mais bien les gens. Lorsque les personnes profiteront des avantages de cette nouvelle technologie et des nouveaux modes opérationnels améliorés, ils vivront alors agréablement, au quotidien, cette nouvelle réalité.
L’écosystème des organisations a une structure formelle et une structure informelle de gestion de ses communications, de ses réactions, de ses processus et de ses modes de décision stratégique et opérationnelle. Il en résulte une vélocité et une élasticité unique de la capacité des parties prenantes pour accepter les changements.
Apprécier ces concepts devrait vous aider à bâtir un programme technologique adéquat pour vivre pleinement les avantages escomptés. N'hésitez pas à nous contacter pour de plus amples informations sur le sujet!
- L’auteur de ce blogue vous invite à lire deux passages sur l’imprévu et l’incertain : « Toute vie est navigation dans un océan d’incertitude », aux pages 40 à 44, et « Toute vie est incertaine », aux pages 44 à 46, du magnifique livre Leçons d’un siècle de vie, écrit par Edgar Morin et publié aux Éditions Denoël (2021), ISBN : 978-2-207-16307-8.
- Les écrits de Thierry Pauchant sont très instructifs pour comprendre les fondements existentialistes de la quête de sens en milieu organisationnel. Proposition de lecture : La quête du sens, Thierry Pauchant et coll., Éditions HEC (1996, 2004).
- Oser mettre à l’épreuve les résistances internes, oser regrouper les personnes qui s’isolent, oser créer les liens entre les intervenants d’une même chaîne de valeur (trop souvent inconnue), oser aider les membres de la haute direction à adopter la bonne posture de gouvernance et d’encadrement, oser créer des liens robustes et efficaces avec les gestionnaires de différents silos fonctionnels, etc.
- La firme offrant le service-conseil en gestion du changement et non pas une personne de genre masculin.
- Shapiro, Andrea. Creating Contagious Commitment: Applying the Tipping Point to Organizational Change. https://www.linkedin.com/in/andreashapiro/